Abstract: | Adorno pose l’exigence philosophique d’une « teneur de vĂ©ritĂ© » de l’art, celle-ci ne pouvant exister qu’à partir d’une critique immanente de l’œuvre particulière. Le rĂ´le de son esthĂ©tique est bien de saisir le moment où l’œuvre, en raison de sa loi formelle, est un artefact et en même temps « plus » qu’un artefact : elle est une œuvre d’art en se sĂ©parant, en tant qu’ « esprit » de la rĂ©alitĂ© empirique. Les œuvres deviennent autonomes à condition de possĂ©der ce « plus » par rapport à la rĂ©alitĂ© empirique. Mais comment dĂ©terminer ce « plus », cet « esprit » des œuvres—leur « teneur » ? Cette recherche de la teneur de vĂ©ritĂ© des œuvres d’art, loin d’être sans rapport avec leur dimension formelle, en dĂ©pend même essentiellement. En d’autres termes, il s’agit d’apprĂ©hender la « forme » de l’œuvre en premier lieu, afin de pouvoir en saisir la teneur : mettre en lumière la teneur de l’œuvre ne peut se faire que dialectiquement, par le biais de chaque œuvre spĂ©cifique.
Nous verrons qu’il existe bien pour Adorno un jeu dialectique entre l’artiste et son matĂ©riau. Pour Adorno, lorsque l’artiste est confrontĂ© au matĂ©riau, prĂ©formĂ© par la sociĂ©tĂ©, il est par là même dans un rapport de confrontation avec la sociĂ©tĂ©, car celle-ci a pĂ©nĂ©trĂ© dans l’œuvre, « comme un Ă©lĂ©ment purement extĂ©rieur et hĂ©tĂ©ronome » ; chaque œuvre prend position face à la sociĂ©tĂ©. Selon Adorno : cette teneur de vĂ©ritĂ©, la qualitĂ© esthĂ©tique des œuvres, coïncident avec le « socialement vrai ». Ce que l’on trouve d’organisĂ© dans l’œuvre est empruntĂ© à l’organisation même de la sociĂ©tĂ©, et c’est prĂ©cisĂ©ment lorsque l’œuvre transcende ces règles que se situe sa protestation contre ce principe d’organisation et contre la domination de la nature. Dès lors, tout l’enjeu de l’analyse immanente de l’œuvre semble être de trouver cet Ă©lĂ©ment social, historique dans l’œuvre d’art, dans sa technique, sa composition : elle s’intĂ©resse au mouvement de nĂ©gation des invariants.
Le « progrès du matĂ©riau » a bien Ă©tĂ© un critère Ă©valuatif de l’œuvre d’art pour Adorno. Cependant sous la contrainte du « moment nominaliste », et plus gĂ©nĂ©ralement depuis qu’il est admis que l’on est passĂ© des arts à « l’art en gĂ©nĂ©ral » ¬—ou encore du « spĂ©cifique au gĂ©nĂ©rique (de Duve) — dans les annĂ©es 60, il semble qu’il soit devenu nĂ©cessaire pour Adorno d’adapter la mĂ©thode d’analyse des œuvres face à ce changement de dĂ©finition de l’art.
En effet, que l’on s’inquiète, que l’on s’Ă©tonne ou encore qu’on s’Ă©merveille qu’il soit dĂ©sormais possible de « faire de l’art avec n’importe quoi » (de Duve), le progrès du matĂ©riau peut difficilement être un critère dĂ©terminant pour juger des oeuvres d’art : il faut, puisque que les arts ont abandonnĂ© leurs matĂ©riaux spĂ©cifiques, mettre en place une esthĂ©tique qui parte de l’objet singulier, une « analyse immanente », à la fois technique et philosophique. |