Abstract: | Il arrive â Ă la postĂ©ritĂ© de Nietzsche aussi â que homo religiosus cohabite encore avec homo aestheticus. La nostalgie dâun « thĂ©Ăątre vif » qui anime Artaud rencontre le sacrĂ©/ « Dieu vif »/ arrÄton, lâ « inexprimableâ de Rudolf Otto: le « thĂ©Ăątre vif » de lâun et « Dieu vif » de lâautre sont (Ă mĂȘme de dĂ©chaĂźner) de terribles forces, impossible Ă rĂ©duire Ă des concepts rationnels. Câest le propre du numinos de Otto. Pour Artaud, le vrai thĂ©Ăątre « invite lâesprit Ă un dĂ©lire qui exalte ses Ă©nergies ». Pour lui, le thĂ©Ăątre manifeste son sens â relevant essentiellement de son efficace â seulement si les spectateurs y « sont agis » : la raison dâĂȘtre du thĂ©Ăątre nâest pas ce quâil « dit » aux spectateurs, mais trĂšs prĂ©cisĂ©ment, sa puissance dâagir sur eux. Ce qui rappelle aussi la description des MystĂšres dâEleusis quâon doit Ă Aristote.
De ce point de vue, il sâavĂšre tout Ă fait pertinente la nouvelle « fantastique » de Mircea Eliade. La thĂšse bien connue du « sacrĂ© camouflĂ© dans le profane », y Ă©pouse subrepticement le principe-clĂ© dâun « nouveau » thĂ©Ăątre, Ă lâinstar dâAntonin Artaud, tout comme de ses confrĂšres et disciples: lâun qui ranime la force « pragmatique » des anciens rites. La mimĂ©sis dâAristote â et la place Ă part quâelle donne Ă la « fable » â y est implicitement remise en cause. La « poĂ©tique » de Mircea Eliade est plutĂŽt platonicienne: le thĂ©Ăątre doit sâaffranchir de son caractĂšre essentiellement extĂ©rieur, imitatif, que prĂŽne la PoĂ©tique du Stagirite, et qui se dĂ©robe Ă lâIdĂ©e ou Ă lâarchĂ©type au sens de Platon.
La « littĂ©rature fantastique » de Mircea Eliade, tel quâil remarque lui-mĂȘme, sâĂ©loigne considĂ©rablement du romantisme allemand, dâEdgar Allan Poe ou de J.L. Borges. La prose fantastique de Mircea Eliade reste â tel quâil dit â profondĂ©ment « solidaire» de sa «conception sur la pensĂ©e mystique et sur les univers imaginaires quâelle crĂ©e», tout Ă fait Ă part par une certaine expĂ©rience du temps et de lâespace quâelle nous rend.
Ă travers quelques nouvelles â prĂ©cisĂ©ment Dix-neuf roses, Dans la cour de Dionis, Incognito Ă Buchenwald, Uniformes de gĂ©nĂ©ral â, on envisage deux aspects notamment:
1. tout dâabord, la poĂ©tique thĂ©Ăątrale â plus ou moins implicite â dont ces nouvelles rendent compte;
2. deuxiĂšmement, les rĂ©miniscences dâune mythologie gnostique, dont elles gardent les traces. |